Coluche : les problématiques soulevées par le litige avorté autour de son portrait

5 septembre 2013 - DROIT D'AUTEUR

Le célèbre portrait de Coluche, emblème de son association Les Restos du Cœur, aurait pu faire l’objet d’une bataille judiciaire qui s’annonçait épineuse. Elle a fini par faire l’objet d’un accord entre les parties.

Le 2 juillet dernier, Gaston BERGERER, le photographe auteur du célèbre portrait de Coluche, a assigné les Restos du Cœur (et d’autres entités) pour exploitation frauduleuse de sa photographie et réclamait une indemnisation financière au titre des 27 années d’exploitation du portrait via des supports pour lesquels il n’aurait pas donné son autorisation (I). L’artiste reprochait par ailleurs aux Restos d’avoir dénaturé son œuvre et de ne pas avoir mentionné son nom, en qualité d’auteur, sur les reproductions du portrait (II).

Si un accord amiable a été trouvé dans cette affaire, il n’en est pas moins intéressant de s’intéresser aux problématiques qui ont été soulevées par ce litige.

I-        Les droits patrimoniaux de l’artiste

En 1986, le photographe Gaston BERGERER aurait verbalement et gratuitement autorisé Coluche à utiliser son cliché sur des  « affichettes sur les lieux de distribution des repas » des Restos du Coeur.

Depuis 1986, la célèbre photographie de Coluche a été apposée sur un grand nombre de supports (jaquettes de CD, DVD, t-shirts et autres produits dérivés).

En droit français, le principe est que la cession des droits de l’auteur sur son œuvre est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le champ d’exploitation des droits cédés doit être délimité (durée, territoire, destination). Ainsi, tout ce qui n’est pas expressément cédé et délimité reste acquis à l’auteur.

D’un point de vue strictement juridique, il semblait donc que Gaston BERGERER ait uniquement cédé aux Restos du Cœur le droit de reproduire sa photo sur des supports précis (affichettes sur les lieux de distribution de repas). Toute autre exploitation et reproduction du cliché pouvait donc être qualifiée, selon lui, de contrefaçon.

Le photographe reprochait aux Restos du Cœur de ne pas avoir recueilli son autorisation pour procéder à d’autres exploitations qui n’étaient pas comprises dans l’accord verbal initialement passé avec Coluche. Il réclamait donc une indemnisation financière au titre des exploitations frauduleuses de sa photographie, ainsi qu’une rémunération pour les exploitations à venir.

Gaston BERGERER avait toutefois tenu à préciser qu’il n’entendait pas interdire aux Restos du Cœur de diffuser son œuvre dans les lieux de distributions de repas, conformément à sa volonté première.

Les Restos du Cœur se sont défendus en expliquant qu’ils considèrent que Gaston BERGERER les avait autorisés à reproduire le portrait de Coluche sur ses supports de communication, et ce, de façon large.

Le rôle du juge aurait donc été de déterminer quelle était l’intention des parties en 1986, afin de déterminer quelle était l’étendue de la cession consentie.

A noter que, dans l’hypothèse où le juge aurait accueilli les demandes de Gaston BERGERER, l’action en contrefaçon se prescrit par le délai de 5 ans. Le photographe n’aurait donc pas été en mesure de réclamer des dommages-intérêts au titre des exploitations de son œuvre antérieures à 2008.

II-        Les droits moraux de l’artiste

Le photographe reprochait également aux Restos du Cœur (et à d’autres entités) d’avoir porté atteinte à son droit moral et d’avoir dénaturé sa photo, en reproduisant le portrait de Coluche affublé d’une moustache sur un t-shirt et de ne pas avoir systématiquement fait figurer son nom en sa qualité d’auteur.

La législation prévoit que l’auteur jouit d’un droit inaliénable et imprescriptible au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre (article L 121-1 du Code de la propriété intellectuelle). Ainsi, un auteur dispose du droit de voir son nom figurer sur son œuvre, et du droit de s’opposer à ce que celle-ci soit modifiée.

Contrairement à l’action en contrefaçon, l’action intentée pour violation du droit moral d’un auteur est imprescriptible de sorte que le photographe aurait pu prétendre à des dommages-intérêts au titre des violations de ses droits moraux sur son œuvre, éventuellement intervenues depuis 1986.

III-       La difficile évaluation du préjudice de l’auteur 

Si le juge avait considéré que les Restos du Cœur ne disposaient effectivement pas du droit d’exploiter le portrait de Coluche sur d’autres supports que des « affichettes dans les lieux de distribution des repas », la difficulté aurait été d’évaluer le préjudice subi par Gaston BERGERER du fait de ces exploitations.

En effet, le juge n’aurait pu occulter l’objet caritatif de l’association et la volonté initiale des parties de promouvoir l’association. Une appréciation trop stricte des termes de l’accord verbal de 1986 aurait eu pour conséquence d’interdire aux Restos du Cœur toute exploitation du portrait autre que la reproduction sur des affiches dans les centres.

Une telle restriction aurait privé l’association d’une large partie de ses recettes publicitaires, puisque l’image de Coluche est l’emblème des Restos et est apposée sur l’ensemble de ses supports marketing et manifestations (goodies, posters, concerts, CD…).

Cette affaire a eu le mérite de rappeler que les termes d’une autorisation d’exploitation d’une œuvre doivent être précisément définis et délimités. Une exploitation non autorisée, quand bien même elle se ferait dans un but caritatif, peut avoir des conséquences (financièrement) désastreuses.

 

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