Dailymotion est bien hébergeur, mais cette qualité peut coûter cher !

22 janvier 2015 - NOUVELLES TECHNOLOGIES

Dans la saga judiciaire et médiatique opposant TF1 à Dailymotion, la Cour d’appel de Paris vient de réaffirmer le statut d’hébergeur de la plateforme de partage de contenus en ligne (CA Paris, 2 décembre 2014).

Ce faisant elle fournit des critères permettant d’apprécier le « rôle passif » – déterminant de la qualification d’hébergeur – critères que l’on ne saurait trop conseiller aux sites abritant des UGC (User Generated Contents) de garder à l’esprit.

Mais attention, même en bénéficiant de ce régime de faveur, la condamnation en cas de manquement à l’obligation de prompt retrait des contenus illicites peut s’avérer coûteuse ! Dailymotion en a fait l’expérience puisque les juges d’appel l’ont condamnée à verser à TF1 la somme de 1.208.000 €.

En 2007, TF1 a assigné Dailymotion du fait de la présence illicite de vidéos sur la plateforme. Insatisfaite de la réparation qui lui a été allouée par le TGI de Paris dans une décision du 13 septembre 2012, TF1 a interjeté appel.

La Cour d’appel de Paris a considéré, comme le TGI avant elle, que Dailymotion, qui stocke des données uploadées par les utilisateurs, n’endosse qu’un rôle passif et purement technique, indépendant de tout contrôle éditorial des contenus. Pour ce faire, elle procède à une analyse  très concrète de l’intervention de la plateforme dans la mise en ligne des vidéos partagées.

La Cour considère d’abord que les opérations de réencodage et de reformatage des vidéos menées par Dailymotion pour assurer leur compatibilité à l’interface de visualisation et aux capacités d’intégration du serveur, sont des opérations techniques qui « participent de l’essence du prestataire d’hébergement et n’induisent pas une sélection par celui-ci des contenus mis en ligne ».

De même, la mise en avant de certains membres sur la page d’accueil de la plateforme, ne relève pas d’une politique éditoriale de Dailymotion puisqu’il ne s’agit que d’une fonctionnalité du service permettant aux utilisateurs de noter eux-mêmes les vidéos d’autres utilisateurs et de permettre ainsi un meilleur référencement de ces vidéos.

Enfin, la mise en place de cadres de présentation et la mise à disposition d’outils de classification des contenus sont, selon la Cour d’appel, justifiées par la seule nécessité de rationaliser l’organisation du service et d’en faciliter l’accès à l’utilisateur, mais « sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu’il entend mettre en ligne ».

L’arrêt souligne enfin l’importance pour ce type de plateformes de se doter de solides conditions générales d’utilisation qui rappellent suffisamment aux utilisateurs leurs responsabilités quant au respect des dispositions légales au titre des contenus qu’ils partagent.

Ajoutées à une procédure claire et accessible de signalement des contenus illicites, ces CGU constituent pour les juges des « mesures de mise en garde et d’alerte visant à prévenir les atteintes au droit d’auteur » et dont il résulte que « le postage, l’accessibilité et le retrait des vidéos s’effectuent par les utilisateurs eux-mêmes sous leur seule responsabilité, sans possibilité d’interférence de la SA Dailymotion ».

La Cour considère que ces moyens – que TF1 faisait valoir comme étant de la modération des contenus a priori – ne visent en réalité qu’à préserver les droits des tiers et n’impliquent en rien un contrôle éditorial.

A toutes fins utiles, la Cour rappelle que le recours à la publicité ne remet aucunement en cause la qualité d’hébergeur et précise qu’une plateforme peut même, le cas échéant, revêtir la double casquette d’éditeur et d’hébergeur, s’agissant de prestations distinctes.

Les juges déduisent de cette analyse concrète du processus de mise en ligne des contenus sur la plateforme, que Dailymotion n’intervient que comme un prestataire intermédiaire dont l’activité est purement technique et passive, indépendante de toute connaissance ou contrôle a priori des données qu’il stocke.

Il résulte de ce rôle passif que la plateforme bénéficie de la responsabilité allégée des prestataires de services d’hébergement, au sens de l’article 6 I 2 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique.

A ce titre, elle ne peut voir sa responsabilité engagée du fait des activités et/ou informations stockées à la demande des utilisateurs si elle procède, dès qu’elle en a connaissance, au prompt retrait des données illicites[1]. Rappelons que cette connaissance est présumée acquise lorsque les données illicites lui sont notifiées dans les formes prescrites par l’article 6 I 5 de la LCEN.

Or en l’espèce, et comme en première instance, les juges retiennent que Dailymotion a failli à son obligation de retirer promptement les contenus illicites au motif, d’une part, que plusieurs vidéos notifiées comme illicites étaient toujours accessibles sur la plateforme entre 7 et 104 jours après réception des mises en demeure et, d’autre part, qu’elle n’a entrepris aucune action à l’encontre des usagers expressément signalés comme abusifs parce qu’ils mettaient massivement en ligne des programmes protégés.

Mais alors que le TGI avait évalué le dommage de TF1 à 270 000 €, la Cour d’appel, faisant une appréciation concrète du préjudice de TF1, condamne Dailymotion à verser à la demanderesse la somme de 1 208 000 € sur le fondement du manquement à l’obligation de retrait rapide.

Hébergeurs, prenez donc soin de retirer au plus vite les contenus illicites qui vous sont notifiés…

Me Louise Branquart
Avocat à la Cour

 

[1] C’est également sur le fondement de cette responsabilité allégée que les juges refusent de façon constante d’imposer aux plateformes une obligation générale de surveillance des contenus illicites ou la mise en place de dispositifs de blocage sans limitation dans le temps.

 

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