Compétition de e-sport, statut des joueurs : entre rigidité et incertitudes

11 juillet 2017 - MEDIAS

A la suite de l’annonce de deux nouveaux décrets relatifs à l’e-sport (décret Décret n° 2017-871 du 9 mai 2017 relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo et Décret n° 2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs), l’attente était grande parmi les juristes et les gamers.

En effet, le modèle économique et l’explosion fulgurante des compétitions d’e-sport en France ont poussé le législateur à réagir vite, et encadrer (strictement) un secteur en plein développement, dont le succès ne se dément pas.

Petit rappel des enjeux :

Les e-sportifs sont désormais considérés comme des compétiteurs de haut niveau, avec des salaires correspondant. « Fader », la star coréenne du jeu « League of Legends », recruté par l’équipe SKT T1, serait rémunéré plusieurs centaines de milliers de dollars par an, et son transfert se serait élevé à plusieurs millions de dollars.

Les plus grands clubs sportifs développent des équipes spécialisées, à l’instar du PSG ou de l’AS Monaco. La Ligue 1 de football a même créée en 2016 sa propre compétition d’e-sport, preuve du grand engouement suscité.

Une étude SuperData a estimé le marché européen de l’e-sport à 300 millions de dollars. Le nombre de spectateurs assistant aux compétitions en 2016 a été estimé à 1,4 millions, et ce chiffre devrait doubler d’ici 2018.

Les chaînes traditionnels de sport telles que Canal + se sont également mis à la page, en proposant des magazines spécialisés, comme le CANAL E-SPORT CLUB et ont conclus des accords de diffusions avec les organisateurs, les compétitions sortant ainsi des sites spécialisés geeks.

Le législateur est donc intervenu en consacrant un statut propre au e-sport par la Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016, faisait suite à la création une semaine auparavant de la Fédération Française d’e-sport.

Ce texte prévoit la règlementation applicable à ces compétitions et encadre les modalités permettant à un e-sportif d’être rémunéré en tant que salarié, devant conclure un contrat de travail avec son club.

Ce texte a donc posé les premières bases du droit de l’e-sport en France.

Afin de pallier à certaines incertitudes, deux nouveaux décrets publiés début mai sont venu apporter des précisions, notamment sur les modalités d’organisation des compétitions de jeux vidéo et sur le statut des joueurs professionnels.

1. Les dispositions relatives à l’organisation des évènements sportifs :

L’article 1er du Décret n°2017-871 définit un encadrement strict des compétitions :

· Les compétitions de e-sport doivent respecter des seuils et ratios d’équilibre financier exigeants ;

· Les compétitions de jeux vidéo doivent faire l’objet d’une déclaration auprès du service central des courses et jeux ;

· La participation de mineurs aux compétitions doit répondre à des conditions restrictives.

Le Décret prévoit également des sanctions (contraventions de 5ème classe) en cas de non-respect de ces dispositions.

Il ne fait aucun doute que ce décret devra être complété : les compétitions d’e-sport se développant de manière tentaculaire, le décret reste silencieux sur plusieurs points, par exemple les compétitions spécifiques n’incluant qu’un seul joueur (compétitions de speed-run par exemple).

2. Les dispositions relatives aux clubs et franchises d’e-sport :

Les clubs et franchises d’e-sport, regroupant des e-sportifs, se faisant de plus en plus nombreux, il est apparu comme essentiel d’encadrer leurs activités.

Cet encadrement est notamment passé par l’obligation faite aux clubs d’e-sport d’obtenir un agrément, dans le cadre de la loi de 2016.

A ce titre le Décret n°2017-872 est venu préciser les modalités d’obtention de cet agrément :

· La procédure d’agrément : l’article 1er du décret prévoit que le club de e-sport devra être agréé par le Ministre chargé du numérique, sa demande devant comporter un certain nombre de mentions obligatoires et de pièces justificatives (article 2 et 3 du Décret) ;

· Les conditions d’obtention de l’agrément : elles sont prévues à l’article 5 du décret, qui ouvre l’agrément à toute association ou société ayant pour objet la participation à des compétitions de jeux vidéo :

o Le club doit être en mesure de fournir des moyens humains, matériels, et financiers permettant d’exercer son activité ;

o Le club doit mettre en œuvre pour ses joueurs professionnels un encadrement et un suivi physique, psychologique et professionnel adapté à leur activité ;

o Les dirigeants ne doivent pas avoir fait l’objet d’une condamnation pénale, ni d’une sanction civile, commerciale ou administrative de nature à leur interdire de gérer, administrer ou diriger une personne morale ou d’exercer une activité commerciale.

· La durée de validité de l’agrément : l’article 6 prévoit que l’agrément est délivré pour une durée de trois ans renouvelable. Il peut également faire l’objet d’un retrait, dans les conditions posées à l’article 7.

La rédaction du décret laisse libre court à toutes les interprétations, les termes usités étant très vagues. Il faudra attendre sa mise en œuvre concrète afin de déterminer à quoi devront se plier les (nombreux) clubs désireux de percer dans le secteur.

3. Les dispositions relatives aux contrats de travail des joueurs professionnels de jeux vidéo :

De manière générale, la loi de 2016 oblige tout club agréé à conclure avec ses joueurs un contrat de travail à durée déterminée.

Le Décret n°2017-872 précise le régime applicable à ce contrat de travail :

· Le contrat de travail doit être d’une durée minimum de 12 mois, et d’une durée maximum de 5 ans.

· Le contrat de travail doit obéir à un formalisme strict.

L’article 2 du Décret de n°2017-871 modifie en outre le Code du travail dans ses dispositions relatives aux mineurs travaillant dans le domaine du spectacle, de la publicité et de la mode. Désormais, sont également soumis au même régime les enfants de moins de seize ans participant à une compétition de jeux.

Les textes évoqués, au lieu de dessiner un cadre précis, assurant à la fois la protection nécessaire de joueurs et l’encadrement cohérent des organisateurs et des clubs d’e-sport, ne propose que des solutions administratives strictes et lourdes, ne faisant pas écho aux us et coutumes du domaine si particulier du e-sport.

En outre, la rédaction de ces textes étant vague, ils devraient induire des incompréhensions, voire des confusions.

Ces insuffisances ne manqueront pas d’instiller de l’incertitude dans un secteur en demande de reconnaissance et de cadre clair.

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