Plateforme dédiée à un téléfilm : atteinte aggravée à la vie privée

2 février 2016 - DROIT D'AUTEUR

La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 novembre dernier, s’est prononcée sur la possibilité de prononcer l’interdiction de diffusion, sur tous supports, d’un téléfilm qui porterait atteinte au respect de la vie privée.

L’affaire porte sur le téléfilm « Intime conviction », diffusé le 14 février 2014 sur Arte et coproduit avec la société Maha productions, retraçant l’enquête de police suite à la mort violente d’une femme et ayant conduit à l’arrestation de son époux. Le scénario est inspiré du fait divers bien connu impliquant le Docteur Muller, acquitté du meurtre de sa femme. Il est à noter que le Docteur Muller n’est jamais cité. Le téléfilm était complété par des vidéos diffusées sur Internet montrant, jour par jour, le déroulement du procès aux assises.

En effet, une plateforme dédiée, intimeconviction.arte.tv, avait été créée pour permettre aux téléspectateurs de donner leur avis sur la culpabilité ou non du personnage central. Le dernier épisode devait prendre la forme de deux verdicts, l’un prononcé par le jury du procès fictif, l’autre issu du vote des internautes. Estimant que le téléfilm portait atteinte au respect de sa vie privée, le Docteur Muller avait saisi le juge des référés pour obtenir l’arrêt de la diffusion du programme.

Le Tribunal de grande instance, en référé, avait ordonné l’arrêt immédiat de la diffusion du téléfilm et condamné le diffuseur et le producteur au versement de 30 000 euros de dommages et intérêts à titre de provision sur les 100 000 euros réclamés par Jean-Louis Muller. La mesure avait été confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 28 février 2014. Notons qu’à cette date la majorité des épisodes avait déjà été diffusée.

Arte et la société de production soutenaient qu’il n’y avait pas d’atteinte dans la mesure où « Intime conviction » était une fiction, relevant de leur liberté d’expression. Reconnaissant ce caractère d’œuvre de fiction, les juges d’appel avaient estimé que le téléfilm présente avec la vie du Docteur Muller de nombreuses similitudes et relevaient que de nombreux internautes avaient pu identifier le docteur Muller. De ce fait, pour la Cour il existait un risque de confusion causant, par là même, une atteinte à la vie privée.

Au-delà, de l’atteinte à la vie privée, c’est la question de la possibilité de prononcer l’interdiction de la diffusion d’un programme qui était en question.

En effet, l’arrêt de la Cour d’appel avait fait injonction aux producteurs et diffuseurs de cesser toute diffusion du programme « Intime Conviction », sous astreinte de 50 000 euros par diffusion, que ce soit dans son intégralité (téléfilm, webvidéos et plateforme accessibles à partir du site dédié) ou par extraits sur quelque support que ce soit, et notamment sur les sites internet intimeconviction.arte.tv et arte.tv. L’interdiction était applicable jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par les juges du fond.

Les juges considèrent que la Cour d’appel a suffisamment caractérisé l’atteinte à la vie privée et qu’elle a pu décider en conséquence d’interdire la diffusion du téléfilm. Les juges soulignent également que l’atteinte à la vie privée est d’autant plus caractérisée par l’importance de la publicité mise en œuvre lors de la campagne de promotion du programme et prennent également en compte la diffusion multimédia de celui-ci.

Les juges ont pris en compte, pour l’appréciation de la gravité de l’atteinte subie par le Docteur Muller, le fait que le téléfilm avait l’objet d’une promotion et d’une diffusion de grande ampleur, notamment en raison de la mise en ligne d’une plateforme Internet dédiée.

Ce projet, très innovant, a donc été « victime » de son succès.

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