Droit à l’image : Une limite à la liberté de création artistique ?

29 mai 2013 - ART

A New-York, le lancement de l’exposition du photographe Arne Svenson, le 9 mai 2013, a ravivé le débat sur la question du droit à la vie privée des modèles –malgré eux- d’œuvres photographiques.

Cet artiste new-yorkais a en effet réalisé une série de photos intitulée « Les voisins » comprenant une douzaine de photos d’anonymes photographiés à leur insu depuis son appartement. Ces clichés pris au téléobjectif à travers des baies vitrées illustrent donc des scènes de la vie quotidienne de ses voisins. Si l’artiste estime qu’il n’y a pas de question de vie privée pour ses sujets car selon lui « ils se produisent (…) sur une scène de leur propre création », tel n’est pas l’avis des voisins en question qui considèrent, pour certains, que leur vie privée a été violée. Aucun recours juridique ne semble cependant possible pour ces sujets américains puisque l’artiste a pris soin de n’exposer aucun visage, rendant ainsi impossible une identification formelle des personnes photographiées.

Qu’en est-il cependant lorsque le visage de la personne apparaît dans l’œuvre et qu’elle est clairement reconnaissable ?

Le 10 janvier 2013, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris a eu à répondre à cette question dans une affaire mettant en cause l’artiste Juan Franciscos Casa, connu pour ses œuvres « photo-réalistes » reproduisant des photographies artistiques au stylo Bic. Celui-ci a choisi de reproduire plusieurs clichés photographiques présentant de manière intime son ancienne compagne. Invoquant une atteinte à la vie privée, celle-ci a intenté une action en justice afin de s’opposer à l’exploitation de ces images faîtes sans son autorisation.

Le tribunal a tout d’abord rappelé que le droit à la vie privée, protégé par l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (octroyant à toute personne un droit exclusif sur son image et sur l’utilisation qui en est faite) doit être concilié avec le principe de la liberté d’expression. La première condition de l’existence d’une atteinte à la vie privée est que la personne qui s’en plaint soit identifiée ou identifiable. En l’espèce, l’ex-compagne de l’artiste était clairement identifiable sur les reproductions Bic des clichés litigieux. Par ailleurs il n’existait aucun élément permettant d’établir le consentement de celle-ci à la diffusion des clichés. Le Tribunal a donc condamné l’artiste, en référé, au paiement de 5000€ à titre de dommages et intérêts. Il a également précisé que « de nouvelles publications et diffusions de ces images, sans l’autorisation de la demanderesse, se feraient aux risques et périls de [l’artiste] ».

Toutefois, les tribunaux ne font pas toujours primer la vie privée sur la liberté de création artistique. Ainsi dans une décision plus ancienne du TGI de Paris (TGI, 9 mai 2007), confirmée en appel (CA Paris, 5 novembre 2008) les magistrats ont retenu que le droit à la vie privée devait s’incliner face à la liberté artistique. Le photographe François-Marie Banier avait réalisé un ouvrage intitulé « Perdre la tête » dans lequel il présentait les portraits de marginaux. Il a choisi pour couverture de ce livre un cliché de la plaignante, assise sur un banc, accompagnée de son chien et vêtue d’une tenue typique des quartiers bourgeois de Paris. Celle-ci avait alors estimé que l’utilisation de cette photo, prise sans son accord, portait atteinte à sa vie privée. Telle n’a pas été l’analyse des magistrats qui ont retenu que le cliché litigieux n’était pas dégradant et ne portait pas atteinte à la dignité de la demanderesse. L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est donc la pierre angulaire de la liberté d’expression artistique.

La preuve d’un préjudice causé par la photographie (caractère dégradant, situation intime…) semble donc être un élément nécessaire pour que l’atteinte à la vie privée soit retenue par les juges contre la liberté de création artistique.

mentions legales